On peut considérer que la question de la structure du fantasme accompagne de bout en bout l’histoire de la psychanalyse, qu’elle caractérise peut-être au mieux la nature de son expérience analytique, ainsi que les limites de son pouvoir. Il s’agira, dans ce séminaire de lecture de textes, de revenir sur une série de textes fondateurs qui ont été décisifs pour marquer la spécificité du champ psychanalytique, celui-là même que Jacques Lacan définissait à partir de 1964, par rapport à l’objet du fantasme.
1) Dans une différenciation initiale par rapport à la problématique “ réactive” du trauma, le fantasme instituant d’emblée une “ responsabilité ” (c’est-à-dire une culpabilité) du sujet du désir.
2) Dans son rapport au sexuel, et ici la référence aux perversions est constante, même si elle n’est pas sans ambiguïté. Que celles-ci constituent une sorte de modèle du désir du névrosé (“un catalogue”) ne permet pas de supposer au pervers plus qu’une position de semblant par rapport à la jouissance (Kant avec Sade) ; dès 1910, Freud notait qu’il y avait bien refoulement chez le fétichiste, modèle fondamental de la perversion depuis Binet. C’est, comme le signale Lacan dans Subversion du sujet, le fantasme qui permet à la pulsion de fonctionner, et non l’inverse. Et donc, qui constitue le corps.
3) Dans les limites que cela suppose à la notion d’intersubjectivité symbolique : alors que Lacan fait encore de l’intersubjectivité symbolique la condition de l’expérience dans « Fonction et Champ de la parole et du langage », il y objecte déjà par l’élaboration d’un Autre dissymétrique (imposant au sujet son message sous une forme inversée) dans « D’une Question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », puis élabore l’objet a hors intersubjectivité dans la proposition de 67, mouvement confirmé par le dernier statut de l’Autre comme jouissance.
4) Comme visant en définitive fondamentalement un objet au coeur même du sujet, ce qui implique que celui-ci se donne avant tout comme défense, et ceci dans les trois structures cliniques.
5) Comme permettant de différencier de façon ultime les structures cliniques. La structure du fantasme reste encore actuellement le seul critère permettant de rendre compte de “ types cliniques ” (selon l’expression prudente de Charcot et de Seglas). Ceci suppose un renversement considérable par rapport à l’identification de départ par Freud, du fantasme au rêve éveillé, pour en faire une mécanique articulant le manque du sujet à un manque dans l’Autre (à partir du séminaire XI). D’où dans le séminaire « La logique du fantasme », la référence au “mode d’emploi ” selon Wittgenstein, où la fonction paternelle joue un rôle aussi crucial que secret, jusque dans la structure du fétiche – comme le soulignait Freud dans ses études sur la vie amoureuse. Il s’agira ici de faire valoir les spécificités de modes d’emplois, dans la névrose, la perversion et la psychose.
6) Comme organisateur du sentiment de réalité (Séminaire III), où Lacan, corrigeant Freud, voit le principe non pas dans l’opposition de deux « principes », mais comme un effet surmoïque – autant dire comme un “peu de réalité ”. Ce qui se vérifiera avec le modèle RSI des années 1970, où c’est d’un nouage toujours aléatoire – et finalement symptomatique – que se constituera l’objet cause du désir, construit à la place de l’inexistence de la jouissance de l’Autre.
Références :
- Sigmund F., « Les Fantasmes hystériques dans leur relation à la bisexualité », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973
- Sigmund F., « L’homme aux rats », Cinq Psychanalyses, Paris PUF, 1954
- Sigmund F., « Un enfant est battu », Névrose, psychose et perversion Paris, PUF, 1973
- Sigmund F., Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, PUF, 1971
- Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966
- Lacan J., « Kant avec Sade », Écrits, Paris, Seuil, 1966
- Lacan J., « Jeunesse de Gide », in Écrits, Paris,Seuil, 1966
- Lacan J., Le Séminaire, Livre XIV, « La logique du fantasme », (1966-1967) inédit
- Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », in Écrits, Paris, Seuil, 1966
- Jacques-Alain Miller, « Du symptôme au fantasme et retour » (1985-86) inédit
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