Commentaire suivi de textes
Dans une série d’interventions débutant avec la notion de forclusion généralisée, Jacques-Alain Miller a accentué des aspects essentiels de l’oeuvre de Jacques Lacan, dont le retentissement sur la clinique s’est avéré particulièrement crucial. Cette accentuation a modifié la notion couramment admise selon laquelle pour Lacan, l’Autre, lieu du code, trouverait avec un Nom-du-père unique sa seule garantie, différenciant la situation du névrosé de celle du psychotique par une marque typique.
Parallèlement, le paradigme de la psychose restait celui de la paranoïa – en dépit d’ailleurs des difficultés propres à cette catégorie. Jacques-Alain Miller a mis en évidence toute une série de notations, commençant par la mise en cause de l’Œdipe comme identification résolutive telle qu’elle avait été proposée par Freud, et culminant avec la mise en évidence de l’inexistence de la jouissance de l’Autre et le dégagement de la notion de sinthome. Ce mouvement, ce déplacement vers une particularisation toujours plus fine de l’effet de sujet, ne modifie toutefois pas la tripartition freudienne classique entre névrose, psychose et perversion : nous montrerons au contraire qu’elle contribue à la clarifier.
Un des aspects les plus frappants de ce déplacement a bien entendu été, concernant les psychoses, de ne plus privilégier l’étude des mécanismes paranoïaques et les circonstances de déclenchement, pour se concentrer sur la variété des modes de suppléance et de débranchements, les plus discrets soient-ils (« psychoses ordinaires »), en s’appuyant sur la clinique « ironique » de la schizophrénie, inspiratrice fondamentale du modèle RSI.
Mais il serait injuste de vouloir considérer que les choses s’arrêtent là. Du côté des névroses, plusieurs notations de Jacques Lacan insistaient par exemple sur le caractère atypique de la résolution du cas du petit Hans et sur l’impossibilité de l’assomption de la féminité dans le cas Dora – en parallèle du cas Schreber, signe que si Jacques Lacan les envisageait en référence à la problématique du père, celle du pire n’était pas étrangère à ses préoccupations. Mais tout autant la question doit être posée du côté des perversions ; la façon dont Jacques Lacan discute, à propos de Sade, des particularités étonnantes du « noir fétiche » et du report des limites de l’aphanisis, ou encore, à propos de Gide, des formes symptomatiques qui ont émaillé son existence et des paradoxes de la signification phallique, sont autant d’encouragements à en explorer les singularités.
Références :
- Freud S., Cinq psychanalyses, Paris, PUF
- Freud S., « Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF
- Lacan J., Le séminaire, Livre IV, « La relation d’objet », texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil
- Lacan J., « La jeunesse d’André Gide », Ecrits, Seuil, Paris, 1966
- Lacan J., « Kant avec Sade », Ecrits, Seuil, Paris, 1966
- Lacan J., Le séminaire, Livre XXIII, « Le sinthome », texte établi par Jacques-AlainMiller, Paris, Seuil
- Miller J.-A., « La clinique ironique », La Cause freudienne n° 23, 1993
- Miller J.-A., « Forclusion généralisée », Cahier de l’Association de la Cause freudienne -Val de Loire & Bretagne, 1993, 1
- Miller J.-A., « Sur le Gide de Lacan », quatre séances du séminaire d’études approfondies, Cours de L’Orientation lacanienne (fin 1989), La Cause freudienne n° 25 (Septembre), pp.7-38, 1993
- Miller J.-A., « Le sinthome, un mixte de symptôme et fantasme », L’Orientation lacanienne : treizième leçon du cours « Ce qui fait insigne », La Cause freudienne n° 39 (Mai)
- Miller J.-A., La psychose ordinaire, Ed Agalma 1999
- Miller J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto n° 94/95 (Janvier)
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