L’inconscient et le corps
C’est le corps de l’hystérique, comme le lieu d’une écriture à déchiffrer, qui ouvre à Freud la découverte de l’inconscient.
Pour le Freud des débuts, le corps de ses jeunes malades est un corps souffrant, affecté de symptômes dont le déchiffrage conduit à des guérisons prodigieuses. Le psychanalyste est l’artisan génial de ces réconciliations du psychique et du somatique : en ce temps-là le corps et l’inconscient voyageaient de conserve et en bonne entente. L’inconscient est le lieu d’un savoir insu, dont le corps est le répondant symbolique docile.
Mais rapidement – dans les années 20 – quelque chose vient entraver le bon déroulement des cures : les patients semblent refuser de guérir et les symptômes résistent à l’interprétation. Le corps et l’inconscient se liguent contre l’analyste : l’inconscient se ferme et le corps reste le siège de maux insensibles aux mots. La belle unité spéculaire du corps – imaginaire, s’est durablement fissurée, le corps reste morcelé et l’inconscient séparé d’un vivant qui l’excède et lui échappe.
Il y a bien hiatus dans la pulsion, ce « concept limite entre le psychique et le somatique, représentant psychique des excitations, issu de l’intérieur du corps et parvenant au psychisme […] », que Lacan traduira soixante ans plus tard par cette formule ramassée : « Les pulsions c’est l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire. » Quelque chose reste définitivement inarticulable, les dits de l’interprétation ne soumettent ni l’inconscient, ni la satisfaction du corps.
Lacan reprendra les choses là où Freud les avait laissées, puis, à l’inconscient comme savoir chiffré s’ajoutera l’inconscient comme lacune, répondant en écho aux béances du corps sexué. Lacan déconnecte partiellement l’inconscient et le corps du signifiant pour les rapporter à la cause, c’est-à-dire au réel, à ce qui spécialement n’est pas symbolisable.
La jouissance est le nom de ce réel opposé au langage, qui lui ek-siste et se concentre sur les bords du corps. Avec le Séminaire « Encore », la perspective s’inverse et se déplace. « La jouissance est partout. » (1)
Lacan soulignera deux aspects de la jouissance : la jouissance de l’inconscient, du signifiant, n’est pas la même que la jouissance du corps propre. « Le symptôme […] est alors la façon dont chacun jouit de l’inconscient […] » (2) tandis que le corps, lui, se jouit (3).
Le parlêtre vient à la fin de l’enseignement de Lacan remanier cet assemblage du corps et de l’inconscient, mais en le subvertissant. « C’est tout de même ce qu’il a appelé le parlêtre où la fonction de l’inconscient se complète du corps. […] pas du corps symbolisé, pas du corps imaginaire,mais de ce qu’il a de réel. » (4)
1. Miller J.-A., L’Orientation lacanienne, « Le partenaire-symptôme »
2. Lacan J., Le séminaire, Livre XXII, « RSI », leçon du 18 février 1975, non publié
3. Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, « Encore », leçon du 19 décembre 1972
4. Miller J.-A., cours du 27 janvier 1999, non publié
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