La forclusion généralisée
La thèse de la « Forclusion généralisée » a été proposée par Jacques-Alain Miller en 1985 à son Séminaire de DEA, où il procédait avec les participants à une lecture approfondie du cas de Freud : « L’Homme aux Loups » (1).
Freud est revenu de très nombreuses fois sur le cas de ce patient dont le diagnostic — pour Freud une névrose obsessionnelle — est resté pour le moins très atypique. Le Séminaire de J-A Miller devait à la lumière de la lecture de Lacan permettre de considérer qu’il s’agissait plutôt d’un cas de psychose (c’est en tout cas le sens du travail très précis présenté par Agnès Aflalo à ce Séminaire). Néanmoins le commentaire de Jacques-Alain Miller reste très nuancé — et d’ailleurs très près de Freud. C’est en reconnaissant qu’il y a dans tous les cas quelque chose qui ne se résorbe pas dans le symbolique, qu’il s’agisse de névrose ou de psychose, que Miller formule la thèse de la forclusion généralisée. La métaphore paternelle n’est jamais parfaitement réalisée car il y a le réel de la jouissance qui se met en travers de la mortification signifiante.
Dans le Chapitre VII du cas de Freud, en effet, on trouve le terme de Forclusion dont Lacan fera un usage bien spécifique à partir spécialement de la « Question préliminaire », en l’utilisant pour faire valoir qu’en l’absence de la signification phallique apportée au sujet dans le Symbolique par le « Nom du Père », il y a forclusion. C’est à dire que ce qui est « forclos » du symbolique revient au sujet « dans le réel » sous forme d’hallucinations, de phénomènes élémentaires, de mise à mal de l’interlocution et de l’image du corps.
En effectuant une relecture de Freud ligne à ligne, Miller montre que Lacan ne s’est pas contenté de superposer le binaire (Nom-du-Père/forclusion) au binaire du diagnostic psychiatrique (Névrose/Psychose), selon une application mécanique.
Si en première instance, la distinction reste efficiente, elle est cependant dans la clinique beaucoup moins tranchée, surtout dès qu’on aborde les rives de la schizophrénie.
Le cas de « L’Homme aux Loups » montrait l’embrouille de façon évidente : « D’un côté il y a castration, refoulement de l’identification à la femme et phobie du loup. D’un autre côté, il y a forclusion de la castration qui a pour conséquence le maintien de l’identification à la femme. C’est précisément là que vient la phrase disant que le refoulement est autre chose que la forclusion. » (2)
Il ne s’agit pas de se contenter de ce que dans l’IPA on appelle la clinique du borderline, soit d’une indétermination du diagnostic.
Plusieurs journées des Sections Cliniques, effectuées dans le cadre de l’UFORCA, ont montré qu’en effet il y avait des cas « inclassables » dans lesquels on ne parvenait pas à rendre raison de ce qui ressemblait pourtant à une psychose, faute de voir à l’oeuvre les mécanismes d’altération du symbolique et de l’imaginaire témoignant franchement de la psychose (en particulier, paroles imposées, délire, hallucination verbale, persécution franche etc…). Et précisément ces journées — aujourd’hui réunies en volumes — ont établi ce à quoi on avait affaire et ce qui n’était pas présent. Le terme de « débranchements » par exemple précise certains phénomènes observables et qui témoignent cliniquement de ce que J-A Miller a appelé « Psychose ordinaire », pour souligner que l’atteinte au lien social, caractéristique de la psychose dans la conception en vigueur dans la « Question Préliminaire » n’était pas observable ou pas franchement observable.
Mais peut-être par une certaine paresse, sans doute aussi parce que les formes de la névrose bougent avec l’esprit de l’époque, et certainement enfin parce que le rapport au père est moins inscrit aujourd’hui dans la culture, la psychose ordinaire a fini par connaître une extension excessive et quelquefois tenir lieu de diagnostic à tout faire.
C’est pourquoi Miller, dans une intervention très importante, intitulée « Effet retour sur la psychose ordinaire » (3) a jugé utile de repréciser le concept. Il ne s’agit pas, dit-il, de revenir à la « rigidité d’une clinique binaire névrose/psychose », néanmoins le concept de psychose ordinaire ne saurait être un fourre-tout.
Nous allons cette année nous appuyer sur cet article pour examiner de nouveau névrose et psychose, et spécialement en reprenant les Conversations cliniques de l’UFORCA.
Miller par exemple, dans son « retour » insiste sur le fait que la psychose ordinaire, même s’il n’y a pas de déclenchement, est une psychose : « Quand c’est de la névrose vous devez savoir ! », dit-il.
Ou encore : « Qu’essaie-t-on d’épingler en parlant de la psychose ordinaire ? C’est-à-dire quand la psychose ne va pas de soi, … quand ça n’a ni la signature de la névrose, ni la stabilité, ni la constance, ni la répétition de la névrose. Une névrose est quelque chose de stable, une formation stable. »
Le thème choisi cette année par la section clinique suppose donc que nous affinions nos catégories, que nous repassions dans les pas des avancées des Sections Cliniques « Vous ne devez pas simplement dire que c’est une psychose ordinaire, vous devez aller plus loin et retrouver la clinique psychiatrique et psychanalytique classique. Si vous ne faites pas cela — et c’est le danger du concept de psychose ordinaire — c’est ce qu’on appelle un asile de l’ignorance. Cela devient alors un refuge pour ne pas savoir. »
Cette année à la Section Clinique de Rennes, nous allons faire de ces indications programme.
1. La transcription de ce Séminaire est disponible dans les N° 72 et 73 de la revue La Cause freudienne
2. La Cause Freudienne N° 73, p. 103
3. Quarto 94-95, « Retour sur la psychose ordinaire », p. 40-51
Liens vers les pages du thème :
Historique des conférences des invités :
- 13 novembre 2010 – Dominique Laurent
- 11 décembre 2010 – Alexandre Stevens
- 15 janvier 2011 – Valérie Péra-Guillot
- 12 février 2011 – Martine Coussot
- 19 mars 2011 – Jean-Pierre Deffieux
- 14 mai 2011 – Jean-Daniel Matet
- 18 juin 2011 – Bernard Seynhaeve (journée du CERCLE)