Le samedi de 14h à 15h30, trois ateliers avec Christelle Sandras et Michel Grollier ; Ariane Oger et Emmanuelle Borgnis-Desbordes; Danièle Olive et Anne-Marie Le Mercier
Diversité des dépressions
Deuxième cause mondiale de handicap en 2020, la dépression n’est pas un concept analytique, mais un signifiant à tout faire venu donner signification à des phénomènes cliniques très divers [1]. Il doit son succès à la mise en circulation des anti-dépresseurs et à la force du marché. Des causalités, soit neurobiologiques, soit sociales, sont invoquées et, de facto, elles mettent de côté la subjectivité.
Freud, ouvre une autre voie quand il établit, en 1915, un lien entre le deuil et la mélancolie [2], les deux concernant la dimension d’une perte de ce qui est cher au sujet : le deuil est la façon de surmonter une perte, la mélancolie est, elle, un mode de réponse lorsque le sujet n’a pas les moyens de traiter la perte par un travail de deuil. Freud prend en compte la responsabilité inconsciente du sujet dans ce qui lui arrive. Il nous indique ainsi que la dépression est une position subjective [3].
Lacan, dans le Séminaire L’Angoisse [4], opère avec son objet petit a une distinction entre l’objet du désir et l’objet cause du désir. Il affine ainsi la logique du deuil et du passage à l’acte. La perte en jeu est-elle connectée au désir de l’Autre ? Ou le sujet est-il au contraire confronté à une perte réelle sans médiation symbolique ?
Dans « Télévision [5] », la dépression n’est plus située à partir du deuil, mais à partir de l’affect de tristesse. Celui-ci vient d’un renoncement « au devoir de bien dire ou de s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure ». Lacan situe ainsi la tristesse en termes de faute, de lâcheté morale. L’affect de tristesse témoigne d’un renoncement au devoir de bien dire, d’un renoncement à la dimension désirante. La lâcheté morale qui sous-tend l’affect de tristesse peut aller jusqu’à la psychose, soit de ne pas s’y retrouver dans l’inconscient, jusqu’au rejet de l’inconscient.
L’adolescence [6], marquée par l’émergence d’une jouissance inconnue que les mots peinent à nommer, se distingue dans le champ de la dépression comme particulièrement propice aux passages à l’acte. S’y ajoutent, à l’âge du numérique, outre l’évaporation du père, une emprise de l’imaginaire ainsi qu’un évitement de la parole. La nette augmentation du recours des adolescents aux urgences psychiatriques depuis la crise sanitaire est très préoccupante. La distinction que Lacan accentue entre passage à l’acte et acting-out rend compte de deux modes différents de court-circuit de la manifestation de l’inconscient [7]. Hamlet, mais aussi Dora, la patiente de Freud, ou encore le personnage de Moritz dans la pièce de Frank Wedekind [8] nous introduisent aux enjeux rencontrés par les adolescents et nous enseignent sur les manifestations propres à alerter l’entourage.
Les femmes aussi se distinguent en termes de dépression [9], les grandes classifications psychiatriques du XIXe siècle relèvent déjà qu’elles ont deux fois plus de risque de connaître la dépression que les hommes. Freud attribue cela tantôt à la sensibilité féminine devant la perte de l’objet d’amour, tantôt à l’échec du Penisneid devant le roc de la castration. Lacan, lui, mettra l’accent, outre la plus grande proximité des femmes avec le réel, sur le style érotomane de l’amour féminin, sur l’importance que les mots d’amour lui soient adressés en particulier, leur absence étant a contrario susceptible de la déprimer.
Que peut alors le psychanalyste ? Sans négliger l’apport des médicaments quand le sujet est coupé de son aliénation au langage, il se refuse à réduire quiconque à son comportement. Si le sujet accepte [10] de rentrer dans un discours, de mettre en mots son impossible à dire, de réintroduire l’Autre comme lieu d’un savoir, il pourra élaborer sur la jouissance qui l’inhibe ou le pousse à l’acte et retrouver la voie du désir.
Les six séquences de l’année déclineront :
- Que nous apprennent Freud, Lacan et les post-freudiens sur ladite dépression ?
- Positions dépressives et structures cliniques. Hystérie, obsession, psychose ordinaire, autisme…
- « La tristesse ordinaire », surmoi et lâcheté morale.
- Dépression et discours contemporain : quid des adolescents ?
- Particularités de la position féminine à l’égard de la dépression.
- Quelles réponses avec la psychanalyse ?